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Construit avec des briques, du bambou et du bois, le bâtiment est sorti de terre à Masaka, à 20 km au sud-est de Kigali, en octobre 2023. A l’intérieur, un concentré de technologies. Après la France, Taïwan, le Brésil et le Liban, c’est au Rwanda que l’Institut de recherche contre les cancers de l’appareil digestif (Ircad) a ouvert son premier centre en Afrique. Son but : contribuer à la formation et à la recherche sur la chirurgie mini-invasive, une technique opératoire qui s’effectue avec de petites incisions et grâce à des instruments fins couplés à un système d’imagerie vidéo.
En moins d’un an, 300 étudiants originaires de 27 pays africains ont déjà été formés dans ce centre qui comprend notamment un amphithéâtre de 225 places et un laboratoire avec seize tables d’opération. « Les avantages de la chirurgie mini-invasive sont multiples, explique David Kamanda, directeur général de l’Ircad Africa. Il y a peu de pertes de sang, des cicatrisations rapides et moins de risques d’infections. Un patient opéré le matin peut sortir de l’hôpital dans la soirée, ce qui permet de réduire les risques de maladies nosocomiales. »
Ces maladies, contractées dans les hôpitaux par manque de propreté et d’hygiène lors des soins médicaux ou de la convalescence des patients, sont un véritable fléau. Une étude menée en avril par WaterAid, une ONG travaillant sur l’eau, l’assainissement et l’hygiène, a montré qu’en 2022, plus de 275 000 personnes étaient décédées des suites de maladies nosocomiales dans sept pays africains (Ethiopie, Ghana, Malawi, Mali, Nigeria, Ouganda et Zambie).
C’est après plusieurs missions humanitaires au Rwanda que le dentiste Guillaume Marescaux, fils du professeur Jacques Marescaux, fondateur de l’Ircad en 1994 à Strasbourg, a proposé d’ouvrir un premier centre de recherche au Rwanda. « Le pays, en pleine reconstruction après le génocide de 1994, avait d’énormes besoins en matière de santé et une forte volonté d’améliorer l’accès aux soins, relate-t-il. Le nombre de dentistes a par exemple été multiplié par plus de trois entre 2008 et 2017. » Le Rwanda a aussi été choisi parce que les visas s’y obtiennent facilement pour les Africains et que sa compagnie nationale, Rwandair, dessert une vingtaine de destinations sur le continent.
Le projet de l’Ircad Africa, qui s’inscrit dans un large programme visant à faire du Rwanda une place forte du secteur pharmaceutique en Afrique, grâce notamment à la fabrication de vaccins à ARN messager, a été financé à hauteur de 22,3 millions d’euros par le gouvernement. Ses équipements, d’une valeur de 12 millions d’euros, ont été fournis par des mécènes et des industriels du secteur comme Pentax Medical, Medtronic ou Intuitive Surgical. La formation des chirurgiens est financée par leurs propres gouvernements, des sociétés privées du secteur médical ou sur fonds propres. Elle est composée de cours théoriques mais également pratiques.
« Les seize tables opératoires disponibles, qui possèdent chacune un matériel identique à celui d’une salle d’opération, permettent aux étudiants de parfaire leur formation en opérant des porcs, dont le système digestif est proche de celui des humains, explique David Kamanda. Les opérations sont pratiquées avec le même protocole : les animaux sont apaisés avec de la musique puis endormis. Après l’anesthésie, ils restent vivants. » Pour les chirurgies de la main, de la tête ou des pieds, les étudiants opèrent sur des personnes décédées, une morgue ayant été construite au sein même de l’établissement.
L’Ircad a pour ambition de démocratiser la chirurgie mini-invasive et de former des spécialistes venant de tout le continent. Les besoins sont importants : selon une étude de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Afrique compte 0,7 spécialiste en chirurgie (anesthésistes, chirurgiens, obstétriciens…) pour 100 000 habitants, alors que l’organisme onusien en recommande de 20 à 40.
Le docteur djiboutien Abdirahim Ahmed Elmi, diplômé en chirurgie générale à Casablanca (Maroc) en 2023, a décidé de poursuivre sa formation pendant cinq jours à l’Ircad Africa, en mai, afin de se spécialiser en laparoscopie, une intervention qui permet d’examiner l’abdomen ou le bassin à l’aide d’un instrument semblable à un tube muni d’une caméra. Il se dit satisfait des « équipements disponibles à l’Ircad Africa » et de « la qualité globale » des cours. « J’avais les notions de base, mais j’ai appris de nouvelles techniques », assure-t-il.
De son côté, le docteur camerounais Emmanuel Njuma Tamufor, diplômé en 2021 de la faculté de médecine et des sciences biomédicales de l’université de Yaoundé, a suivi un cursus de quatre jours en chirurgie urologique laparoscopique qu’il a lui-même financé. « J’ai beaucoup appris lors des séances pratiques et amélioré ma gestuelle opératoire, explique-t-il. Les formateurs nous ont transmis les basiques en termes de préparation du matériel et toutes les précautions à prendre pour que les opérations se déroulent dans les meilleures conditions. Je regrette toutefois qu’il n’y ait pas plus de suivi post-formation. »
L’Ircad Africa prévoit déjà d’élargir son champ d’action. A travers le projet Disrumpere, une équipe franco-rwandaise composée d’une vingtaine d’ingénieurs travaille sur une amélioration de l’accès aux soins grâce à l’intelligence artificielle. L’objectif est d’augmenter les capacités de sondes échographiques afin que leur utilisation soit accessible au plus grand nombre, y compris à des personnes n’ayant aucune formation dans le domaine de la santé.
Ces sondes portables et peu onéreuses pourraient permettre de réaliser des examens afin de détecter facilement les pathologies les plus courantes, voire de détruire certaines tumeurs cancéreuses de taille réduite. Cinq milliards d’humains n’ont aujourd’hui aucun accès à l’imagerie médicale.
Pierre Lepidi (Kigali, envoyé spécial)
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